tourterelle
une tourterelle (Colombina) posée sur un rouleau inscrit du mot A BON DROIT, parfois posée sur un soleil rayonnant (Radia Magna)
- Période
- 1385-1402
- Aires géographiques
- Italie, Lombardie
- Personnage
- Jean Galéas Visconti
- Famille
- Visconti
- Devises associées
- soleil rayonnant
- Mots associés
- A BON DROIT
- Couleurs associées
- bleu/blanc
Pietro da Castelletto rapporte qu’à l’occasion des funérailles de Jean Galéas Visconti en 1402, le cortège qui accompagnait la dépouille du duc comportait plusieurs cavaliers portant toute la panoplie héraldique du défunt. Parmi les emblèmes, sculptés sur des boucliers en bois, se trouvaient les armes des Visconti et les écartelés Visconti-Empire et Visconti-France, les armes des comtés de Pavie, de Vertus, de Gallura, d’Angera, les cimiers à la guivre et deux fois la devise de la tourterelle sur le soleil rayonnant (« cum radio solis cum tortoreta »)[1]. Cette même devise apparaît d'ailleurs deux fois dans les marges du folio enluminé avec la scène du Couronnement de Jean Galéas par Jésus Christ Enfant réalisée par Michelino da Besozzo en 1403 (Paris, BnF, Ms. Lat. 5888, f. 1)[2] (voir ci contre).
La devise de la tourterelle a été longtemps attribuée par les auteurs à Isabelle de Valois et par conséquent liée à son mariage avec le prince milanais en 1360[3].
Il semble pourtant que le poète Pétrarque soit intervenu dans l'invention de cet emblème, imaginé à l’occasion de son dernier séjour à Pavie, pour le jeune Jean-Galéas. C’est du moins ce que rapporte l’humaniste Pier Candido Decembrio, secrétaire ducal, qui rédigea vers 1430 la vie de Philippe Marie, fils et successeur de Jean Galéas, d’après les souvenirs de son père Uberto alors au service du duc et qui avait justement rencontré Pétrarque à Pavie. Une note de Fransesco da Vannozzo, ami de Pétrarque soutient cette théorie. Ce dernier, vers 1389, rapporte dans la Canzone Morale fatta per la divisa del conte di Virtù, ces vers que Pétrarque lui aurait dit : Il sole e l’azur fino / Che tengon in sua brancha / Quella uccellata biancha / Qual a Bon Droit en dolce becco tene / Che la sentenza mia tutta contene.
Jonathan Boulton précise que cette création a pu intervenir avant 1395 puisque cette devise apparaît associée à Jean-Galéas, encore qualifié de comte, sur les miniatures de deux manuscrits conservés à la bibliothèque de Florence (Biblioteca Nazionale, Ms. Banco Rari 397 et Ms. Landau-Finaly 22), réalisés, l’un vers 1388-1391, l’autre vers 1394-1395[4]. Par conséquent, si l’on admet la véracité de l’intervention de Pétrarque dans cette devise, sa création doit avoir eu lieu entre 1368 et 1374, soit entre le mariage de Yolande en 1368, évènement supposé avoir été à l’origine de l’adoption de devises par les Visconti, et la mort du poète en 1374[5]. D’ailleurs, sur la première partie des livres d’heures déjà cités de la bibliothèque nationale de Florence[6], enluminés pour Jean-Galéas par Giovanni de’ Grassi et son atelier, seule figure la devise de la colomba ce qui remet en cause les autres devises attribuées à Jean Galéas. C'est pourtant bien la devise composée par un soleil rayonnant avec une « colombella » qui aurait dû être représentée sur la fenêtre du chœur de la cathédrale de Milan en 1402 à la demande du prince (voir la devise du soleil rayonnant )[7].
On peut d’ailleurs rapprocher le soleil rayonnant sur lequel figure la colombe de la devise de l’ordre de l’Etoile fondé par le père d’Isabelle, Jean le Bon. Il se pourrait que cette devise ait inspiré celle de Jean Galéas.
Comme souvent, le sens exact de cette figure reste pourtant inexpliqué par les auteurs médiévaux. La tourterelle qui y figure – la dénomination italienne de colomba est inexacte comme le confirment les comptes de Valentine Visconti – est représentée seule, contrairement à l’enseignement des bestiaires qui précisent que si la tourterelle perd son compagnon, elle dépérit. Le mot qui lui est associé - A BON DROIT - en donne sans doute la clef. Cette devise pourrait faire allusion au règne solitaire de Jean Galéas sur Milan, qui, s’étant débarrassé de la pression tyrannique de son oncle et beau-père Barnabé Visconti, gouverne seul, A BON DROIT, sur Milan. Elle serait donc diffusée à partir de 1385, date à laquelle Barnabé est écarté du pouvoir.
Le soleil rayonnant, symbole de justice divine, sur lequel vient se poser cette figure, confirme en quelque sorte l'élection de Jean-Galéas et la légitimité de sa prise de pouvoir.
Les thèmes qui sont associés à la tourterelle dans la représentation princière, notamment les créations musicales, associent cette devise aux Vertus propres au prince et à celles de colombe - d'où sans doute l'ambiguïté de sa désignation -, comme l’explique Vannozzo : l’Humilité, la Chasteté et la Pureté, tandis que le soleil représente la puissance du seigneur et l’azur du fond sa sérénité[8].
Signalons le cas intéressant du cimier du secrétaire du duc, Pasquino de Capelli (†1398), une oie à tête de guivre de la gueule de laquelle sort un phylactère chargé du mot du Christ dans l'évangile selon saint Matthieu (10-16) Serpentis astutia colombe simplicitas, qui semble faire allusion à l’emblématique ducale, tant à la guivre qu’à la devise de la Colombina. Cet emblème livre d’ailleurs un possible interprétation de cette dernière devise.
Cette devise fut largement reprise par les successeurs de Jean Galéas, comme sa fille Valentine, épouse de Louis d’Orléans dont Eustache Deschamps va célébrer l'emblème et le mot A BON DROIT (voir la notice), Bonne de Savoie, épouse de Galéas-Marie, Philippe-Marie ou encore François Ier Sforza.
ILLUSTRATIONS
Michelino da Besozzo, Jean Galéas couronné au Paradis par la Vierge et l’Enfant, détail avec la devise de la colombina, Paris, BN, ms. lat. 5888, f. 1.
[1] PETRO DE CASTELLETTO, Ordo funeris Johannis Galeatii vicecomitis ducis Mediolani, Rerum Italicarum Scriptoers, Muratori L.A. éd., t. XVI, Milan 1730, p. 1035, librement répris dans l’édition de 1645 de GIOVIO P., Vite dei dodici Visconti, Fabi M. éd., Milan, 1853, p. 219. Sur l’argument voir MASPOLI, « Arme et imprese… », II, p. 140-141.
[2] KIRSCH E.W., Five illuminated manuscripts of Giangalleazo Visconti, London, 1991, p. 98-99.
[3] CARLETON S.M., Heraldry in the Trecento Madrigal, PhD., Toronto, 2009, p. 125.
[4] KIRSCH, Five illuminated manuscripts, p. 87-92.
[5] BOULTON D’ARCY J.D « Insigna of power, the use of heraldic and paraheraldic devices by Italians princes, c. 1350-1500 », Art and Politics in Late Medieval and Renaissance Italy, 1250-1500, Rosenberg C.M dir., Londres, 1990, p. 103-127, à p. 118.
[6] Florence, Biblioteca Nazionale, Ms. Banco Rari 397 et Ms. Landau-Finlay 22, cité dans BOULTON D’ARCY, « Insigna of power ».
[7] TASSO F., « Documenti sul Duomo e Gian Galeazzo Visconti. Tra ingegneri della cattedrale e artisti di corte », Il Duomo di Milano, incontro di studio, Sacchi Landriani G., Robbiati Bianchi A., éd., Milan, 2013, p. 31-50, à p. 35-36 et note 9.
[8] « … che comprende l’alba tortorella/, la qual con Umeltà tanto s’inbella/a Purità conzonata e Castitate;/chè se con lui [à savoir, au prince] legate seran queste tre donne »: CARLETON, Heraldry in the Trecento Madrigal, p. 125-127 et KIRSCH, Five illuminated manuscripts, p. 19.
Bibliographie
PETRO DE CASTELLETTO, Ordo funeris Johannis Galeatii vicecomitis ducis Mediolani, Rerum Italicarum Scriptores, Muratori L.A. éd., t. XVI, Milan 1730, coll. 1026-1036.
GIOVIO P., Vite dei dodici Visconti, Fabi M. éd., Milan, 1853.
Francesco Filelfo educatore e il “Codice Sforza” della Biblioteca Reale di Torino, Firpo L. éd., Tourin 1967.
BOULTON D’ARCY J.D « Insigna of power, the use of heraldic and paraheraldic devices by Italians princes, c. 1350-1500 », Art and Politics in Late Medieval and Renaissance Italy, 1250-1500, Rosenberg C.M dir., Londres, 1990, p. 103-127.
MASPOLI C., « Arme et imprese viscontee sforzesche II », Archives héraldiques suisses, 111 (1997), p. 27-38.
MASPOLI C., « Stemmi e imprese viscontee e sforzesche », Stemmario Trivulziano, Id. éd, Milan, 2000, p. 27-44
CARLETON S.M., Heraldry in the Trecento Madrigal, PhD., Toronto, 2009.
TASSO F., « Documenti sul Duomo e Gian Galeazzo Visconti. Tra ingegneri della cattedrale e artisti di corte », Il Duomo di Milano, incontro di studio, Sacchi Landriani G., Robbiati Bianchi A. éd., Milan, 2013, p. 31-50.