Qu'est-ce qu'une devise ?
S’entendre sur les termes
A partir du milieu du XIVe siècle, une nouvelle pratique emblématique se développe dans les cours princières européennes. Aux côtés de leurs armoiries, les princes et leurs courtisans adoptent des emblèmes d’un type nouveau inspirés par les usages courtois, les sociétés de tournoi et les ordres militaires.
Ces signes, dont la composition est renouvelée par les références stylistiques et culturelles de la cour, sont dégagés des contraintes formelles du blason. Ils sont librement représentés et puisent dans une multitude de registres souvent liés aux modes et aux intérêts de ce temps qui voit finir le Moyen Age et poindre la Renaissance : animaux réels ou imaginaires, plantes variées, objets du quotidien, armes et outils, etc.
Ces signes ont avant tout une fonction emblématique, c’est-à-dire qu’ils servent à désigner une personne, à lui offrir des signes personnels qui, plus que les armoiries familiales qu’il porte, le distinguent spécifiquement.
Les sources qualifient généralement ces emblèmes de devise mais elles leur appliquent également toute une série de synonymes au sens plus ou moins précis : emprise, livrée, ordre, ordonnance, connaissance. Cette profusion se retrouve dans la plupart des langues européennes. Cette devise – le sens strict du terme désigne toujours en priorité l’emblème figuré – peut s’accompagner d’autres éléments emblématiques dont le développement participe de cette effervescence emblématique de la fin du Moyen Age soulignée par Michel Pastoureau. A l’emblème s’adjoint parfois une courte sentence que les sources qualifient de mot. Celui-ci est le plus souvent en langue vernaculaire et fréquemment dans une langue étrangère à celle de l’utilisateur. Ce mot peut compléter la devise, éventuellement l’expliciter, mais il peut aussi être employé de façon autonome, sans lien à l’image ou encore être associé à plusieurs emblèmes. Il n’est pas rare que le terme devise désigne aussi bien l’emblème figuré que la sentence, ce qui explique le glissement de sens que connaît ce mot à l’époque moderne. A l’emblème peut également s’ajouter une combinaison de couleurs que les sources désignent sous ce même terme de couleurs. Celles-ci sont le plus souvent différentes des couleurs des armoiries de l’utilisateur de l’emblème. Elles forment une combinaison de 1 à 4 couleurs, parfois même davantage. Elles peuvent être associées, dans les représentations graphiques, à un emblème figuré et à une sentence mais peuvent aussi être utilisées indépendamment pour colorer des vêtements, des drapeaux, des éléments de décor. On les qualifie parfois de couleurs de livrée ou plus simplement de livrée. Dans les sources médiévales, ce terme peut aussi être synonyme de devise au sens strict – l’emblème – ou au sens large – l’ensemble des emblèmes, devise, mot, couleurs, voir même par métonymie, désigner le groupe de personnes partageant une même devise, sous la forme : « être de la livrée de ». Enfin, il est fréquent que ces éléments emblématiques s’accompagnent d’une combinaison de lettres à la mise en forme plus ou moins figée comme des lettres entrelacées, le choix d’une calligraphie donnée. Ces lettres sont fréquemment des monogrammes composés de l’initiale du prénom du personnage parfois associée à celle du prénom de son conjoint. Mais on trouve également des acronymes dont le sens n’a pas toujours été percé et dont la composition se situe entre les lettres, le mot et la devise. Les sources qualifient ces emblèmes de lettres. Certaines de ces lettres constituent un véritable signe associant parfois lettres et figures. On parlera alors plutôt de chiffre. Tout ou partie de ces signes forment la devise au sens large. Ils ont tous une fonction emblématique et renvoient en priorité à leur utilisateur. Ainsi, non seulement la devise figurée mais également le mot, les couleurs ou les lettres permettent d’identifier un individu. Toutefois, une même personne peut employer simultanément plusieurs devises et mots. La devise, un signe symbolique En plus de sa motivation emblématique, une des principales intentions de la genèse de cette nouvelle emblématique est très certainement la fonction symbolique de ces signes. En effet, à la différence des armoires, les devises sont destinées à supporter un discours symbolique. Elles conduisent à deviser, à discourir, à décrire, au sens propre du terme. Leur utilisateur les retient précisément pour le sens qu’elles supportent et l’idée qu’elles vont publiquement associer à sa personne. L’interprétation symbolique de ces figures reste toutefois très délicate car très rares sont les devises expliquées par les sources médiévales. Nombre d’entres elles supportent d’ailleurs des lectures symboliques polysémiques. Pour tenter d’interpréter ces emblèmes, il convient donc de les inscrire très précisément dans un contexte historique, politique, religieux et culturel aussi renseigné que possible. Il est également essentiel de ne jamais fermer ces lectures mais plutôt d’en proposer plusieurs interprétations possibles. Mots, couleurs et lettres viennent parfois éclairer ces interprétations mais portent aussi leur propre discours. Quelques grands thèmes semblent toutefois se dégager de ces interprétations symboliques : les vertus, la dévotion, la politique, la courtoisie. Un signe politique partagé La devise est donc un emblème personnel, vecteur d’un discours symbolique choisi par son utilisateur. Cependant ces signes sont également destinés à être partagés. Dérivant en partie des colifichets échangés entre amants ou des insignes désignant les membres des ordres militaires ou les équipes de tournoi, ils signifient également le lien qui unit un puissant à ses proches, parents, compagnons d’armes, serviteurs ou fidèles. Les modalités de ces partages sont nombreuses et extrêmement variables au gré des usages, des circonstances et des besoins du donateur. On verra ainsi, par exemple, une devise partagée par l’ensemble de la cour à l’occasion d’une fête du nouvel an mais une autre réservée à l’usage exclusif d’un nombre limité de fidèles. La même devise réservée par un prince sera largement distribuée par son successeur et inversement. Il convient donc de ne pas enfermer ces signes dans une typologie restrictive qui ne correspond en rien aux usages du temps ni même à la terminologie médiévale, qui reste relativement imprécise. Sans perdre de vue cette souplesse de fonctionnement, les termes fréquemment retenus pour qualifier ces différents types de partages peuvent être évoquées. Une devise pourra donc être partagée librement et largement et donnera naissance à une livrée, un groupe informel de porteurs de la devise princière. Une emprise doit être comprise comme un projet, une action temporaire, qui réunit des membres désignés par un même signe. Un ordre qualifie plutôt un groupe restreint de fidèles réunis autour d’un puissant seigneur ou d’un prince et placés sur un pied apparent d’égalité. Cette catégorie regroupe depuis les ordres très formels avec numerus clausus, chapitre et siège jusqu’aux sociétés chevaleresques réunies autour de la défense d’un lieu saint ou d’un culte donné. Il n’est pas rare toutefois que les sources désignent une livrée sous ce même terme d’ordre. Une culture de cour, un système international Si l’on trouve des devises adoptées hors des sociétés de cour, celles-ci restent le principal cadre dans lequel le système est apparu, s’est développé et a fonctionné. Ces cours composent au Moyen Age un véritable réseau international, un microcosme qui fonctionne à l’échelle de l’Europe. Il est donc fréquent que les devises s’échangent et se répondent d’une cour à l’autre. Il est également fréquent que certains puissants personnages soient admis à intégrer dans leur propre emblématique les devises portées par un autre. Y compris celles d’ordres de chevalerie prestigieux à l’instar de la Jarretière. En visant à l’exhaustivité et en soulignant la diffusion européenne de ces nouveaux emblèmes, la base Devise tend précisément à permettre cette lecture croisée.