devise

emblématique et héraldique à la fin du Moyen Âge

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chantepleure

un arrosoir en forme de bouteille percée à sa base, déversant des gouttes

La devise dans la chantepleure associée au mot RIEN NE MEST PLUS dans le Filostrato de Boccace appartenant à Marie de Clèves et daté de 1456 (Paris, BnF, ms. Fr. 25528)

La devise dans la chantepleure associée au mot RIEN NE MEST PLUS dans le Filostrato de Boccace appartenant à Marie de Clèves et daté de 1456 (Paris, BnF, ms. Fr. 25528)

Période
1455-1487
Aires géographiques
France
Personnage
Marie de Clèves
Famille
Clèves
Devises associées
chantepleure
Mots associés
PLUS RIEN NE MEST
Lettres associées
HM, RNMP

Contraitrement à l'idée, diffusée depuis le XVIe siècle, selon laquelle Marie de Clèves aurait repris les devises choisies par sa belle-mère Valentine Visconti après l'assassinat de louis d'Orléans en 1407 (voir la notice), c'est bien l'épouse de Charles d'Orléans qui est l'origine de la devise de la chantepleure et des autres emblèmes qui lui sont associés.

Comme l'a établi Jonathan Saso[1], la plus ancienne mention connue de cette devise se trouve dans le décor d'un manuscrit du Filostrato de Boccace[2], appartenant à Marie de Clèves et daté de 1456 par le paiement du parchemin enregistré dans un compte rédigé entre 1455 et 1456[3].

Le folio 5, placé au début du manuscrit, présente la panoplie héraldique complète de la duchesse : autour des armoiries, au centre, se trouvent, sur un fond semé de larmes ou de gouttes, une chantepleure entourée par une banderole avec les mots : « Riens ne mest plu[s] », le monogramme personnel de Marie (voir la notice), des fleurs de pensées. Cette même emblématique, complétée par la devise de l'ancolie, se retrouve dans un autre manuscrit, un recueil des poésies de Charles d’Orléans, conservé à la Bibliothèque municipale de Carpentras et daté de 1457[4].

J. Saso signale encore un recueil d’œuvres d’Alain Chartier[5], généralement daté de la moitié du xvie siècle mais assurément daté de 1456[6],  dont le décor porte, au folio 1, les armes Orléans-Clèves, deux ancolies dans le N enluminé et deux banderoles chargées du mot  « [Rie]n ne mes[t plus] »[7], abrégé en RNMP sur plusieurs folios[8], les lettres H et M reliées par un lac d’amour. Ce manuscrit intègre également un précieux Liber Amicorum signalant de nombreux mots de personnages de l'entourage de Marie de Clèves dont naturellement le propre mot, sans doute autographe, de Marie de Clèves.

Cette panoplie emblématique est par ailleurs complétée par les nombreuses mentions d'objets ornés de ces devises signalées dans les inventaires conservés de la chambre des comptes de Blois ou la comptabilité des ducs d’Orléans. Ainsi, un paiement du 1er juin 1455 mentionne « les ferrures d’une troussouere » et « deux jartières d’or » émaillées à larmes et à pensées ; un anneau d’or émaillé à larmes ; « une chantepleure d’or, à la devise de ma dicte dame, par elle donné à MS Alof de Clefves, son frère, pour porter une plume sur son chappeau »[9] mais également de nombreux objets « à la devise de Madame »[10]. Un inventaire dressé le 4 février 1456 signale des pensées et des larmes sur trois colliers, mais aussi une chaîne d’or garnie de trois chantepleures et, surtout, le mot de la devise : « une ferrure [...] qui a esté faicte au dit lieu de Tours, à la devise de madame, c’est assavoir : Riens ne m’est plus, en escript à chantepleures »[11]. Dix ans plus tard, en 1464, un autre document cite « une grant ferrure d’or large, en façon de larmes, esmaillée de noir », « un fermouer d’or aux Heures de Madame à sa devise », « deux colliers de cuivre doréz pour deux de ses levriers, à ses armes et à sa devise »[12].

Cette devise de la chantepleure est encore associée à la figure du cygne, animal emblématique hérité des Clèves, sur le sceau et le contre-sceau de la duchesse connus par une empreinte datée de 1481 sur laquelle, l’écu est supporté par un ou deux cygnes, colletés d’une chantepleure, et associés, dans le champ du sceau, au chiffre HM, des gouttes, des pensées et d’un mot seulement partiellement lisible, sans doute RIEN NE MEST PLUS[13]

 Ces différentes attestations du milieu des années 1455 permettent donc de recenser les différents emblèmes de la duchesse d'Orléans et d'établir que la lecture symbolique de la chantepleure et des autres emblèmes ne renvoit pas à la mort de Charles d'Orléans (1465) comme cela a souvent été proposé. Jonathan Saso établit au contraire que la devise de la chantepleure fait son apparition et se diffuse à l’approche d’un moment heureux : en 1457, après dix-sept ans de mariage stérile, Marie accouche de sa première fille[14]. La symbolique de la chantepleure renvoit donc d'avantage au dépouillement spirituel, à la mélancolie, au renoncement aux choses terrestres, qu'au deuil à proprement parler.

Signalons la présence de cette devise de la chantepleure sur un étui de couteaux de table des années 1420[15], réutilisé pour des couteaux aux armes et devise de Marguerite de Bavière, épouse de Jean de France (voir ces personnages), et associée à un monogramme et à la devise d'un paysans portant sa houe avec le mot JENDURE, attribuable à Philippe Musnier (voir ce personnage), fidèle de Jean sans Peur.


La mort de Charles d'Orléans en 1465 est pourtant marquée, dans l'emblématique de Marie de Clèves, par l'introduction des doubles S, attestée par différentes mentions (voir cette notice). 

 

Notes

  1. SASO J., "Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien : la valeur dynastique de la devise de la chantepleure entre Valentine Visconti et Marie de Clèves, duchesses d’Orléans", La devise, un code emblématique européen, L. Hablot, M. Ferrari et M. de Seixas dir., Tours, 2021, à paraître.
  2. Paris, BnF, ms. Fr. 25528.
  3. Laborde Léon de, Les ducs de Bourgogne : études sur les lettres, les arts et l’industrie pendant le XVe siècle, et plus particulièrement dans les Pays-Bas et le duché de Bourgogne, t. 3, Paris, Plon, 1852, p. 362-363, num. 6784 et Champion Pierre, La librairie de Charles d’Orléans, Paris, Champion, 1910, p. 116, note 8.
  4. Carpentras, BM, ms. 0375.
  5. Paris, BnF, ms. Fr. 20026.
  6. La signature de Marguerite de Chambley, épouse de Louis de Beauvau, morte en 1456, apparaît dans les feuillets de garde postérieurs : voir Beauvau Louis de, Le Roman de Troyle, éd. par G. Bianciotto, Rouen, PUR, 1994, p. 215.
  7. le mot est répété aux folios 54vo, 115ro et 129ro
  8. Le même sigle est répété aux folios 28ro, 39vo, 47vo (ici la banderole est tenue par un singe), 55ro, 60vo, 81vo, 121vo.
  9. Laborde L. de, Les ducs de Bourgogne…, op. cit., p. 352-353, num. 6722, 6727, 6732.
  10. Ibid., p. 351-352, num. 6719, 6723 et
  11. Laborde L. de, Les ducs de Bourgogne…, op. cit., p. 377-379, num. 6945-6947, 6949, 6954.
  12. Roman J., Inventaires et documents…, op. cit., p. 197-199, num. 867, 872, 885.
  13. Sceaux 950 et 950 bis de la collection Douët d’Arcq
  14. . À ce propos voir Pinkernell Gert, François Villon et Charles d’Orléans (1457 à 1461), Heidelberg, Winter, 1992, p. 11, note 1 ; id., François Villon : biographie critique et autres études suivies d’une étude sur deux rondeaux de Marie de Clèves, Heidelberg, Winter, 2002, p. 43, note 4.
  15. Londres, British Museum

Autres illustrations

La devise dans la chantepleure associée au mot RIEN NE MEST PLUS dans le Filostrato de Boccace appartenant à Marie de Clèves et daté de 1456 (Paris, BnF, ms. Fr. 25528)
La devise dans la chantepleure associée au mot RIEN NE MEST PLUS dans le Filostrato de Boccace appartenant à Marie de Clèves et daté de 1456 (Paris, BnF, ms. Fr. 25528)

Bibliographie

SASO J., "Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien : la valeur dynastique de la devise de la chantepleure entre Valentine Visconti et Marie de Clèves, duchesses d’Orléans", La devise, un code emblématique européen, L. Hablot, M. Ferrari et M. de Seixas dir., Tours, 2021, à paraître

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