devise

emblématique et héraldique à la fin du Moyen Âge

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K

la lettre en écriture gothique

Le monogramme K de Charles VI, associé aux rameaux de genêt et au mot EN BIEN. Vitraux de la chapelle du Rosaire de la cathédrale d'Evreux, baie 15 (entre 1387 et 1390). Photographie J.-Y. Cordier.

Le monogramme K de Charles VI, associé aux rameaux de genêt et au mot EN BIEN. Vitraux de la chapelle du Rosaire de la cathédrale d'Evreux, baie 15 (entre 1387 et 1390). Photographie J.-Y. Cordier.

Période
1380-1422
Aires géographiques
France
Personnage
Charles VI
Famille
Valois
Devises associées
cerf ailé, soleil rayonnant, mai, genêt, k
Mots associés
JAMES, EN BIEN
Lettres associées
K, KE
Couleurs associées
vert/blanc/rouge, vert/blanc/rouge/noir

 Prénommé comme son père, Charles VI s’inscrit par ce moyen dans une filiation sublimée par l’homonymie avec Charlemagne, ancêtre illustre et déjà mythique de la dynastie. Karolus filius Karoli, il correspond également au roi des derniers temps de la prophétie éponyme que Colette Beaune qualifie de texte emblématique du messianisme royal médiéval[1].

 Mais son chiffre initial est aussi une façon de se positionner en tant qu’individu.

Charles V avait considérablement développé l’usage du chiffre pour identifier ses biens et se rendre présent à travers les images (voir Charles V). Jouant sur l’étymologie du prénom CharlesKarolus, Philippe de Mézières et l’auteur du Songe du Vergier, Evrat de Trémaugon[2], avaient établi que son sens initial était clara lux, la claire lumière. Cette interprétation avait le mérite de rattacher le souverain aux empereurs dont la titulature intégrait ce terme. Sous Charles V, l’empereur référence est bien sûr Charlemagne, homonyme du roi, dont la figure est associée aux rois de France en général et au règne de Charles V en particulier par plusieurs moyens : les armoiries et les regalia, notamment le célèbre sceptre du sacre[3].

 Dans les premiers temps du règne, Charles VI poursuit cette pratique. Plusieurs sources en témoignent. Une des plus anciennes occurences de l'usage emblématique de cette lettre par le jeune Charles VI est peut-être ce fragment de harnois (une base de cimier ?) retrouvé dans les fouilles du puits du donjon au Louvre où figure une large initiale K[4]. Les comptes de l’Ecurie mentionnent ce chiffre en 1384 où il décore une selle pour le roi, associé à des couronnes et des têtes de lions[5]. L’année suivante le K est entrelacé avec le E de la reine Isabeau (Elisabeth) pour le décor d’une selle offerte par le roi à l’occasion des étrennes[6]. Deux ans plus tard la reine reçoit une nouvelle selle où le chiffre KE est accompagné par des lys et des couronnes et une autre selle regroupant l’emblématique du roi et de la reine, dont le chiffre KE, est offerte à la duchesse de Bourbon[7].

 C’est entre cette date et avant 1390 que peut être datée la verrière de la chapelle du Rosaire de la cathédrale d’Evreux (baies 15, 17, 19). Dans les polylobes du registre supérieur de la verrière se retrouvent les armes royales, le cerf volant sur un buisson de genêt, le mot EN BIEN et le chiffre K.

L'initiale est bien sûr mise en scène dans les chartes ornées prosuites au nom du roi, même si ce corpus est nettement moins riche que pour Charles V ou Charles VII (voir les actes de 1384, 1400).

A en croire les comptes, c’est alors principalement la reine qui utilise ce chiffre couplé ou non avec son initiale. Il décore un surcot semé de K et de E, une chambre, des jarretières, et des anneaux[8].

Le chiffre est nettement moins documenté à la fin du siècle. On retrouve en 1399 la mention d’un décor réalisé par Colart de Laon dans la chapelle de l’hôtel saint Pol où les murs sont semés de KK et de RR couronnés (Karolus Rex) associés aux LL de Louis d’Orléans[9]. Les comptes de l’Ecurie entre 1399 et 1403 ne mentionnent pas un seul article à ce décor et les quelques pièces ornées d’un K qui figurent dans l’inventaire de 1412 sont associées à des devises de fantaisie courantes au début du règne, des bestes à « testes de sepens » et des « serpens volant »[10].

 Evoquant Charles V, Charlemagne, dont Charles VI doit, selon les prophéties, continuer et accomplir l’oeuvre, et peut-être même le Christ, la lettre K est chargée d’une riche symbolique. On s’étonne de la retrouver si peu présente dans l’emblématique royale notamment après 1390. La maladie du roi est-elle la cause de cette désaffection ? On peut supposer qu’avec les crises du roi, les prophéties qui voyaient en lui le dernier empereur de la fin du monde avaient un peu tourné court.

D’autre part, lors de ses « absences » les plus actives Charles VI marquait une profonde aversion pour ses armoiries. La lettre K, bien plus dynastique que personnelle, était-elle également visée dans ces moments ? La faible présence du chiffre K dans les comptes conservés témoigne peut-être du fait que ce mode emblématique n’avait pas la faveur du roi à la différence des devises, des mots et des couleurs.

 


[1] cité dans BEAUNE, Jeanne d’Arc…, p. 109. Sur le sujet voir CHAUME M., « Une prophétie relative à Charles VI », Revue du Moyen Age latin, 1947, t. 3, p. 27-42.

[2] Le Songe du Vergier, SCHNERB-LIÈVRE M. éd., Paris, 1982, vol. I, p. 5, 7 ; Le Songe du Vieil Pèlerin, vol. 2, p. 4, 131-132 et 160.

[3] CARROLUS-BARRE L. et ADAM-EVEN P., « Les armes de Charlemagne dans l’héraldique et l’iconographie médiévales », Mémorial du voyage en Rhénanie de la Snationale des antiquaires de France, Paris, 1953, p. 289-308 ; CIVEL N., Les armoiries des neuf Preux, mémoire de maîtrise sous la direction du professeur Colette Beaune, université Paris X, 1995, p. 149-154. Je remercie son auteur de m’avoir donné accès à son passionnant travail.

[4] Je remercie vivement M. Michel Fleury et le dessinateur de la Commission du Vieux Paris, Madame Françoise Lagarde, de m’avoir autorisé à présenter ici ce dessin non publié.

[5] LEPROUX, Comptes de l’écurie…, année 1384, article 452 : « A Jehans de Troies, sellier, pour une selle de courcier pour ledit seigneur... la couverture et les arçonnières de fin velviau vermeil taint en graine, ouvré et tout le champ semé de couronnes et de K enlevez a un point, les couronnes a deux broches et pourfillees d’or de Chipre, les hernois de ladite selle de soie vermeille semee de testes de lyon, la bride, la culliere, le poitrail et toute la garnison, c’est assavoir le mors, les estriers et les carrefours semez de K et de couronnes de fin cuivre, taillé et esmaillé, et tous finement dorez... ».

[6] Ibid., année 1385, article 636 : « pour une selle de palefroy pour la Royne de la façon d’Engleterre, couverte de velviau vermeil, semee de lettres de E et de K et une brodeure tout entour losengié d’or de Chipre et une chapelle de laton plate taillée de haulte taille, et le harnoiz de laditte selle de soie vermeille, bride, cuilliere, poitrail, estrivieres tout de soie vermeille, la garnison de fin cuivre doré, c’est assavoir le mors, les estriers et les karrefours de haulte taille et d’esmail a deux lettres entrelaciés, et toute la semeure du harnoiz de lettres de fin cuivre doré, c’est assavoir un K et un E, pour cette selle garnie de houce, de sengles et de tout ce qu’il appartient, laquelle le Roy donna a la Royne la veille des estraines, pour ceste celle... ».

[7] Ibid., année 1387, article 1435 : « audit Jehan de Troyes, pour une selle de palefroy pour la Royne..toute la couverture losengié et semee de K et de E enlevez d’or de Chippre et la bordeure entour de la couverture ouvree de feullage estrenge en maniere d’un orfraiz, ouvree de liz et de couronnes... », article 1437 : « Audit Jehan, pour une selle couverte de velviau tainte en graine, ouvree, la couverture et le siege toute losengié d’or de Chippre, et dedens les losenges K et E de brodeure, et les karrefours de fleurs de bourache,et une bordeure tout entour ouvree de couronnes et de lis d’or a un point et couverture tout entour decoupee de feullage, et le harnoiz de laditte selle de velviau taint en graine, ouvree de brodeure decouppee et clouee ou milieu de solaux, le mors, les estriers et quarrefours de fin cuivre doré, taillié et esmaillé de cerfs volans, l’un et l’autre de levriers, laquelle selle le Roy donna a madame de Bourbon... ».

[8] DOUËT d’ARCQ, Nouveau recueil…., Argenterie du roi pour le terme de la saint Jean 1387, Pour la reine : « Ledit Simon, pour la croissance de la fourreure d’un autre surcot court de drap sur champ vert à K et à E », « A Martin Didele, coustepointier... pour avoir appareillé et mis à point une chambre de satin blanc pour madame la Royne, où il y avoit ciel, dossier, coustepointe et trois sourtines de taffetas blanc. En laquelle il avoit trois grans K de broderie, assis et rapportez sus ladicte coustepointe, les roses et armoirie pourfillées de soye, ycelles rubannées, et mis anneaulx et franges… », « A lui (Simmonet Le Bec) pour IIII onces d’argent doré fin vermeil, par lui mis et emploié es blouques et mordans et en plusieurs clox d’argent dorez pour la ferreure de II jarretières de satin azur, pour lier les chausses de madame la Royne. Lesquelx cloux, blouque et mordant sont esmaillés à K et à E... », Anneau parti d’or et d’argent à K et E donné à la reine le 12 janvier 1386 (1387 n. st.), « A lui, pour avoir fait et forgié une autre verge d’or fin pour ladicte madame la Royne, en laquelle il a mis un dyamant de son inventoire, fait et mis en ladicte verge en façon d’un oeul, et dedens est esmaillé le mot de la Royne deux fois, et dehors est esmaillé de K et E tout à plain... ».

[9] ROMAN, « Inventaires… », avril 1399.

[10] DOUËT d’ARCQ, Choix de pièces …, Inventaire de la Grande Ecurie (7 février 1421), art 161 : « Item, une autre celle de parement couverte de veloux vermeil, toute brodée à couronnes et autres bestes en guise de serpents volens, es tasses un K couronné » ; BILLAUD, Comptes de l’Ecurie…, article 1325 ; vielle selle de parement couverte de « veloux vermeil toute brodee a couronnez et autres bestez en guise de serpens volans » et l’arçon orné devant et derriere d’un K.

Autres illustrations

Initiale ornée d'un acte de Charles VI (Paris, AN, K53, n° 33, 1384)
Initiale ornée d'un acte de Charles VI (Paris, AN, K53, n° 33, 1384)
Acte de Charles VI en faveur de Louis d'Orléans. Paris, AN AE II 420, 1400.
Acte de Charles VI en faveur de Louis d'Orléans. Paris, AN AE II 420, 1400.
Partie haute du vitrail de la chapelle du Rosaire (baie 17) de la cathédrale d'Evreux. Le monogramme royal est associé aux armes, aux devises du cerf volant et du genêt et au mot EN BIEN (entre 1387 et 1390). 
Partie haute du vitrail de la chapelle du Rosaire (baie 17) de la cathédrale d'Evreux. Le monogramme royal est associé aux armes, aux devises du cerf volant et du genêt et au mot EN BIEN (entre 1387 et 1390). 

Bibliographie

HABLOT L., « Formes et fonctions de l’emblématique dans les chartes ornées. L’exemple du corpus français », Illuminierte Urkunden, dir. M. Roland, A. Zajic, Vienne, 2018, p. 215-232.

Autres devises pour Charles VI

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