SOFFRIR ME SANS VOLTER
le mot SOUFFRIR ME SANS VOLTER (il me convient de souffrir sans tourner bride)
- Période
- 1360-1385
- Aires géographiques
- Italie, Lombardie
- Personnage
- Barnabé Visconti
- Famille
- Visconti
- Devises associées
- guépard couché dans les flammes
- Lettres associées
- DB
L’emblématique de Barnabé Visconti est complétée par le mot, en ancien français, SOUFRIR ME SANS VOLTER.
Si la première partie du mot avait été à peu près comprise de longue date, la seconde partie n'a été que récemment élucidée.
Le mot SOUFFRIR MESTUET est devenu célèbre pour avoir été repris dans certaines chansons de fin XIVe-début XVe siècle, telle « En attendant souffrir m’estuet » de Phillippe de Caserte[1]. On a longtemps pensé que le complètement de ce mot devait se comprendre comme « soufrir mestuet.. in gotisach » terme interprété comme l'ancien français "brûler", formant le mot « je dois souffrir tandis que je brûle » qui semblait s’adapter parfaitement à l’image de l’animal assis dans les flammes comme l’on semble de pouvoir lire dans le cartouche tenue par le guépard casqué, devise de Barnabé, qui apparaît en bas de page du manuscrit BNF, Latin 7323, f. 5r[2]. Borda, dessinateur et graveur qui reproduit le monument funéraire et certains détails dans une planche publiée en annexe au volume des Famiglie celebri d’Italia de Pompeo Litta (1824) propose quand à lui « Soufrir mestuet mestuoter sarf soufrir »[3], Gnecchi e Romussi suggèrent que l’inscription doit être complétée comme « Soufrir m’est vertu, m’est volter sans ruer soufrir », c’est à dire « Souffrir est pour moi vertu, mais c’est souffrir sans revenir à la rescousse "[4].
Guido Gentile, reprenant l'étude de l'ensemble du décor du monument équestre et funéraire de Barnabé après sa restauration en 2015 propose désormais de voir dans cette sentence les termes SOFFRIR ME SANS VOLTER (il me convient de souffrir sans tourner bride) dont le contenu comme la forme établissent un lien très clair avec la culture courtoise et chevaleresque de la cour de ce prince, pétri de culture française et de chansons de geste comme en attestent ses exemplaires du Lancelot du Lac e Guiron le Courtois. Ce propros évoque la courage du chevalier (et du croyant), prêt à souffrir plutôt que de fuir et coïncide avec la vertu de Tempérance exprimée par le guépard totem de Barnabé, qui reste stoïquement couché dans les flammes du brasier.
Le mot peut encore être évoqué sous forme abrégée, limitée aux lettres initiales du premier terme SOUFFRIR. Cette version plus allusive apparaît dans des fermoirs émaillés en forme d’écu conservées dans les collections du chapitre de la cathédrale de Crémone et le Musée du Castello Sforzesco de Milan qui relèvent de deux séries distinctes. Le cimier de Barnabé qui surmonte les armes côtoyées par son chiffre DB repose sur un heaume au volet chargé de fasces d'argent et de sable, ces dernières portant les lettres SOFR, élision de « souffrir »[5], mise en forme que l'on retrouve sur l’avers d’un gettone[6]
Ces quatre lettres se retrouvent encore peut-être sur le monument équestre de Barnabé où, sur le vêtement de la Fortitude figurent les lettres SO, tandis que sur celui de la Justice apparaitraient les lettres HB, qui toutefois pourraient plus correctement être interprétées comme FR.
ILLUSTRATIONS
Fermoir émaillé aux armes de Barnabé Visconti accompagnées par le chiffre D B, le lambrequin portant le mot SOUF(RIR MESTUET). Crémone, chapitre de la cathédrale (cl. Venturelli 2011).
Fermoir émaillé aux armes de Barnabé Visconti accompagnées par le chiffre D B, le lambrequin portant le mot SOUF(RIR MESTUET). Milan, Musées du Castello Sforzesco, Civiche raccolte di arte applicata (cl. Vergani 2001).
Notes
- ↑ THIBAULT G., « Emblèmes et devises des Visconti dans les œuvres musicales du Trecento », L’ars nova italiana del Trecento, t. 3, Gallo F.A, Certaldo, 1970, p. 131-170.
- ↑ CARLETON S.M., Heraldry in the Trecento Madrigal, PhD., Toronto 2009, p. 150-151.
- ↑ LITTA P., Famiglie celebri d’Italia, t. III, Visconti di Milano, Milan, 1828.
- ↑ ROMUSSI, Milano ne’ suoi monumenti, p. 334, note 1 ; voir aussi VERGANI G.A., L’arca di Benrabò Visconti al Castello Sforzesco di Milano, Cinisello Balsamo, 2001, p. 55, 179. En revanche, le mot SOURAYNE (= souveraine) inscrit sur la cartouche tenue par la Forteresse pourrait qualifier une qualité de la vertu personnifiée et ne pas être liée à l’emblématique du seigneur.
- ↑ Comme l’on interprète même ROMUSSI C., Milano ne’ suoi monumenti, t. II, Milan, 1913, p. 354 à propos de l’émail milanais. On devra donc rejeter la traditionnelle lecture SO, HR (pour Honor Bernabovis) ou HV avancée, avec quelque cautèle, par VENTURELLI P., « notice 2 » (« Scudetti di Bernabò Visconti »), Oro dai Visconti agli Sforza. Smalti e oreficerie nel Ducato di Milano, catalogue de l’exposition (Milano 2011-2012), Ead., Cinisello Balsamo, 2011.
- ↑ CRIPPA C., Le monete di Milano dai Visconti agli Sforza dal 1329 al 1535, Milan, 1986, num. 7. Il pourrait s’agir de la meme monnaie décrite par ROMUSSI, Milano ne’ suoi monumenti, t. II, p. 334.
Bibliographie
THIBAULT G., « Emblèmes et devises des Visconti dans les œuvres musicales du Trecento », L’ars nova italiana del Trecento, t. 3, Gallo F.A, Certaldo, 1970, p. 131-170.
CARLETON S.M., Heraldry in the Trecento Madrigal, PhD., Toronto 2009, p. 146-151 (https://tspace.library.utoronto.ca/bitstream/1807/19260/15/Carleton_Sarah_M_200911_PhD_thesis.pdf).
ROMUSSI C., Milano ne’ suoi monumenti, t. II, Milan, 1913 (https://archive.org/stream/milanonesuoimonu19122romu#page/n5/mode/2up).
LITTA P., Famiglie celebri d’Italia, t. III, Visconti di Milano, Milan, 1828 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8452267x/f1.image).
VENTURELLI P., « notice 2 » (« Scudetti di Bernabò Visconti »), Oro dai Visconti agli Sforza. Smalti e oreficerie nel Ducato di Milano, catalogue de l’exposition (Milano 2011-2012), Ead., Cinisello Balsamo, 2011.