guépard casqué dans les flammes
Un guépard coiffé du cimier, couché dans un brasier et tenant un phylactère chargé du mot SOFFRIR MESTUET ME SANS VOLTER
- Période
- 1360-1385
- Aires géographiques
- Italie, Lombardie
- Personnage
- Barnabé Visconti
- Famille
- Visconti
- Mots associés
- SOFFRIR MESTUET SANS VOLTER
- Lettres associées
- DB
Un guépard couché dans les flammes et coiffé du heaume à la guivre, engloutissant un enfant de carnation, posé en fasce, les bras étendus tenant une cartouche avec le mot SOUFRIR MESTUET IN GOTISACH. Il est accompagné par les lettres D et B.
Il semble, d’après le manuscrit Trivulziano n° 1390, que Barnabé ait emprunté cette devise à son frère Galéas, modifiant son lion casqué en guépard. L’attribution tardive de cette devise à Barnabé pourrait être surprenante, d’une part parce que la figure casquée est parlante pour le prénom de Galéas mais pas pour celui de Barnabé et, d’autre part, parce que le léopard (mais sans casque) est une devise ensuite adoptée par son neveu Jean-Galéas.
Toutefois, des évidences matérielles démontrent que Barnabé Visconti a bien utilisée la devise du léopard, ou mieux du guépard[1], plutôt précocement, au moins à partir du début des années 1360. C’est à cette époque qu’elle apparaît dans des monuments directement commandités par le co-seigneur de Milan. On la trouve d'abord dans une peinture murale réalisée sous le porche du château de Pandino (Crémone), résidence de chasse que Barnabé fit bâtir et décorer, selon les interprétations plus récentes, avant 1361[2] La devise y apparaît au centre d’une figuration héraldique plus importante qui porte, dans les coins des écus aux armes des Visconti et des Della Scala (ces dernières repeintes à la croix des Savoie durant le règne de Philippe Marie Visconti ou plutôt, plus probablement, sous Galéas Marie Sforza). Le guépard casqué est également figuré dans le porche et encore, en deux exemplaires, à l’intérieur du château, dans la grande salle. Plus au moins dans les mêmes années (1355-1363), la devise a été représentée sur le monument équestre que Barnabé commandita au sculpteur Bonino da Campione, conçue pour le chœur de l’église de San Giovanni in Conca et conservée depuis 1898 au Musée du Castello Sforzesco[3] Bien que la sculpture ait été transformée en monument funéraire seulement en 1385 par son neveu Jean Galéas, il est plausible que l’ornementation emblématique du couvercle – qu’on suppose avoir été inséré à ce moment – et de la caisse soit fidèle aux emblèmes réellement utilisés par Barnabé. La devise du guépard casqué est visible sur la base du socle de la statue, qui sert de couvercle au sarcophage, et sur le revers de la selle, place usuelle des figurations héraldiques. Dans au moins deux des cas mentionnés, l’emblème est accompagné par les lettres D et B (Dominus Bernabos), qui indiquent son appartenance à Barnabé[4]. Par conséquent, il est possible que la devise du guépard ait été introduite par Barnabé comme une sorte de réponse à son frère Galéas II, qui utilisait un lion casqué depuis son retour d'exil français en 1347. Partageant le pouvoir sur l’état de Milan, les deux frères auraient donc adopté deux devises très proches, qui mettaient en exergue leur proximité tout en soulignant les différences, comme ils avaient fait pour les cimiers qui timbraient leurs armoiries, différenciés seulement par la forme de la crête de la guivre qui surmontait le casqué[5].
La devise du lion casqué de Galéas II a parfois été interprétée comme un symbole de la véhémence réprimée par le destin mais toujours prête à réapparaitre avec plus de vigueur[6]. Cette symbolique pourrait également s'appliquer au guépard couché dans les flammes, symbole de tempérance que l'on retrouvera dans le tizzone de Jean Galéas (deux seaux d'eau pendus à un brandon). Même si la fonction parlante de l'animal coiffé du heaume ne fonctionne pas pour Barnabé comme elle le fait pour Galéas (galeatus = casqué), l'animal revêtu du visage chevaleresque de celui qu'il emblématise n'en porte pas moins de valeur proprement totémique. Il faut par ailleurs souligner le prestige de cet animal dans les cours princières du temps, particulièrement en Italie et nottament à cour de ces très grands chasseurs que sont les Visconti, comme en attestent les nombreuses figurations de guépards dans les oeuvres commandités par les Visconti et qui, dressés, servaient de précieux auxilaires de chasse[7].
Le mot qui accompagne la devise de Barnabé, en ancien français, récemment décrypté par M. Guido Gentile[8] après avoir suscité beaucoup de théories[9] , en renforce clairement la signification : SOFFRIR MESTUET ME SANS VOLTER : il me convient de souffrir mais sans tourner bride.[10]
Devise du Guépard casqué de Barnabé Visconti. Pandino (Crèmone), château des Visconti, porche
Devise du Guépard casqué de Barnabé Visconti. Bonino da Campione, Monument équestre de Bernabò Visconti (1355-63 et 1385). Milan, Musei del Castello Sforzesco (provenant de l’église de San Giovanni in Conca) (cl. Vergani 2001).
Devise de Bernabé Visconti avec le mot « soufrir mestuet in gotisach », dans Alfodhol de Merengi, Liber iudicorum, Paris, BNF, ms. Latin 7323, f. 5r (source BNF, Archives et manuscrits http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9068394j).
Notes
- ↑ Sur l’identification de l’animal, voir BUQUET T., "Le guépard médiéval, ou comment reconnaître un animal sans nom", Reinardus, John Benjamins Publishing, 2011, 23, p. 12-47. (10.1075/rein.23.02buq . halshs-00655131) ; VASSILIEVA-CODOGNET O., « Ambiguous figures of otherness: redoubtable beasts in princely badges of the late Middle Ages», Animals and otherness in the Middle Ages. Perspectives across disciplines, ed. by De Asis Garcia Garcia F., Walker Vadillo M.A. dir., Chico Picaza M.V., Oxford, 2013, p. 133-150, à p. 140
- ↑ ROMANO S., « Palazzi e castelli dipinti. Nuovi dati sulla pittura lombarda attorno alla metà del Trecento », Arte di corte in Italia del Nord. Programmi, modelli, artisti (1330-1402 ca.), Actes du Colloque (Lausanne, 24-24 mai 2012), Romano S., Zaru D. dir., Rome, 2013, p. 251-274.
- ↑ VERGANI G.A., L’arca di Benrabò Visconti al Castello Sforzesco di Milano, Cinisello Balsamo, 2001, à p. 119-167.
- ↑ Sur le lien de cette devise à la personne de Barnabé voir aussi ROCCULI G., « Un’impresa decifrata : il “leopardo galeato” », Atti della Società Italiana di Studi Araldici, 27 (2009), p. 207-230, à p. 217, bien qu’il y voudrait plutôt reconnaitre un lion casqué.
- ↑ FERRARI M., I cimieri dei signori tra Veneto e Lombardia: da insegna personale a simbolo dinastico, MEFREM
- ↑ MASPOLI C., « Stemmi e imprese dei Visconti », Stemmario Trivulziano, Id. éd, Milan, 2000, p. 27-44, à p. 31-32.
- ↑ BUQUET T., "Le guépard médiéval, ou comment reconnaître un animal sans nom",
- ↑ Une étude de Guido Gentile sur la devise de Bernabò, ses variations, ses sources est en préparation
- ↑ Marco Cremosano présente une évolution tardive du mot sous la forme «CONFER IN ESTOIT INGUTER» (« confère en était en gouter ») – ce que Carlo Maspoli interprète en « Il donne ce qu’il en était englouti », MASPOLI C., « Arme e imprese viscontee sforzesche I », Archives héraldiques suisses, 110 (1996), p. 132-158, à p. 147. Le mot est documenté par l’armorial de Marco Cremosano; cf. Lo stemmario di Marco Cremosano, Borrella d’Alberti A. éd, Milan 1997, p. 230, 244.
- ↑ CARLETON S.M., Heraldry in the Trecento Madrigal, PhD., Toronto 2009, p. 150-151.
Bibliographie
BUQUET T., "Le guépard médiéval, ou comment reconnaître un animal sans nom", Reinardus, John Benjamins Publishing, 2011, 23, p. 12-47. (10.1075/rein.23.02buq . halshs-00655131)
VASSILIEVA-CODOGNET O., « Ambiguous figures of otherness: redoubtable beasts in princely badges of the late Middle Ages», Animals and otherness in the Middle Ages. Perspectives across disciplines, ed. by De Asis Garcia Garcia F., Walker Vadillo M.A., Chico Picaza M.V. dir., Oxford, 2013, p. 133-150.
ROCCULI G., « Un’impresa decifrata : il “leopardo galeato” », Atti della Società Italiana di Studi Araldici, 27 (2009), p. 207-230.
MASPOLI C., « Arme e imprese viscontee sforzesche I », Archives héraldiques suisses, 110 (1996), p. 132-158.
MASPOLI C., « Stemmi e imprese dei Visconti », Stemmario Trivulziano, éd. par Id., Milan, 2000, p. 27-44.
CARLETON S.M., Heraldry in the Trecento Madrigal, PhD., Toronto 2009.
Lo stemmario di Marco Cremosano, éd. par Borrella d’Alberti A., Milan, 1997.
ROMANO S., « Palazzi e castelli dipinti. Nuovi dati sulla pittura lombarda attorno alla metà del Trecento », Arte di corte in Italia del Nord. Programmi, modelli, artisti (1330-1402 ca.), Actes du Colloque (Lausanne, 24-24 mai 2012), Romano S., Zaru D. dir., Rome, 2013, p. 251-274.
ROMANO S., « Il modello visconteo: il caso di Bernabò », Medioevo: i committenti, Actes du Colloque (Parme, 21-26 septembre 2010), Quintavalle A.C. dir., Milan, 2011, p. 642-656.
VERGANI G.A., L’arca di Benrabò Visconti al Castello Sforzesco di Milano, Cinisello Balsamo, 2001.
ALBINI G., CAVALIERI F., Il castello di Pandino. Una residenza signorile nella campagna lombarda, Crémone, 1986.