devise

emblématique et héraldique à la fin du Moyen Âge

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pélican et sa piété

Un pélican dans son nid en train se picorer le ventre pour nourrir ses petits de son sang

Personnage
Jean II de Portugal
Famille
Portugal
Mots associés
POLA LEI POLA GREI, PRO LEGE PRO GREGE

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La devise du palmier associée à celle du pélican et au mot IUSTUS UT PALMA FLOREBIT interprétée par l’atelier Della Robia vers 1495

v. 1475-†1495

Un pélican et sa piété (dans son nid et nourrissant ses petits de son sang) associé au mot POLA LEI POLA GREI

  Même si peu de sources textuelles documentent cette devise, le chroniqueur royal Rui de Pina nous renseigne sur l’origine et le sens de la devise :

Le Roi étant encore Prince prit pour devise, en honneur de sa femme la Princesse, un Pélican, Oiseau répandant le sang de sa poitrine pour entretenir et élever ses fils, qu’il garde dans son nid. Et elle lui plut tellement qu’il n’en changea point après être devenu Roi ; et il prit avec elle un mot correspondant à la pieuse mort du Pélican qui disait : Par ta loi et par ton peuple.[1]

La datation de Pina est confirmée par Damião de Góis, qui signale l’existence d’un roi d’armes Pélican, au service de Jean II lorsqu’il était prince héritier, envoyé en 1476 auprès du duc François II de Bretagne[2].

Un peu plus loin, quand il décrit les célèbres fêtes données lors du mariage du prince héritier Alphonse avec l’infante Isabel d’Aragon, Rui de Pina donne un aperçu de la décoration de la grande place de Lisbonne, où avaient eu lieu les joutes :

Et lundi premier jour de l’octave on mit une toile sur la place, qui était couverte par-dessus de fines étoffes, sur de grands mâts, et avec une infinitude de drapeaux royaux. Et la toile était couverte de fines étoffes vertes et violettes, qui étaient les couleurs du roi, toute remplie de part et d’autre de Pélicans dorés, brodés sur la toile, ce qui semblait fort bien.[3]

Nous apprenons donc les couleurs de la devise de Jean II : sur fond vert et violet (sa livrée), un pélican d’or.

Quant à Garcia de Resende, plus vague, il fournit seulement une indication générique :

Et [le roi] ordonna maintes choses de grand profit, et bon gouvernement de ses Royaumes, par où il montrait le grand amour qu’il avait pour ses peuples, bien conforme au Pélican, qu’il avait pour devise.[4]

Cette devise est également connue par plusieurs attestations iconographiques comme la magnifique lettrine historiée du Livro das Cortes[5], les pierres armoriées de l’église de Saint-François d’Évora ou du monastère de la Mère de Dieu, à Lisbonne, un célèbre émail de Della Robbia commandé par la reine-veuve Leonor pour l’église de la Mère de Dieu, à Lisbonne ou encore sur l’enluminure de la chronique écrite par Rui de Pina[6]. Jusqu’ici, tout semble confirmer les paroles des chroniqueurs.

Cette devise est associée au mot POLA LEI POLA GREI qu’il convient de lire POR TUA LEI E POR TUA GREI – par Ta loi et par Ton peuple et parfois aussi avec la devise du palmier et le mot IVSTVS VT PALMA FLOREBIT.

Dès le règne de Jean II, différentes interprétations prévalaient, en lien avec le sens symbolique et christologique de la figure : l’allégorie du sacrifice pour ses enfants, par le sang, la foi ou la paternité politique. Ainsi Resende, rapproche le sentiment du roi envers son peuple et le symbolisme du pélican, sans pour autant déclarer que l’un avait été adopté comme expression de l’autre (Seixas) et Rui de Pina le rapproche de son attachement pour son épouse.

 Comme l’a démontré Miguel de Seixas, la figure du pélican fonctionne en association avec celle du palmier (voir Palmier). Ces deux éléments sont commentés dans un ouvrage consultable par Jean II et son conseil, le Livro das Aves (livre des oiseaux)[7]. Ce texte, très prolixe sur le palmier, consacre au pélican, une seule glose, autour du thème « Je suis devenu comme le pélican dans le désert » (Psaumes 101, 7) : l’auteur explique la dimension christologique du pélican, pris comme symbole eucharistique, puis il ajoute que, au sens moral, ce même oiseau représente le juste, « capable de créer un désert au sein de la cité, parce qu’il se conserve étranger au péché, dans la mesure où sa nature humaine le lui permet »[8].  

Ainsi, le Livro das Aves nous fournit de façon évidente toutes les clés pour une compréhension des divers éléments de la devise de Jean II. Il nous permet de comprendre les liens qui pouvaient alors être établis entre le pélican et le palmier comme symboles du chemin que le juste devait parcourir pour arriver au Christ. D’où le choix du mot « Por tva lei e por tva grei » : il ne peut y avoir de salut que par la loi du Christ et au sein de Son peuple. La notion de justice, essence même du pouvoir royal par délégation divine, est donc au centre de toute cette construction symbolique (Seixas).

Conformément aux déclaration du chroniqueur Rui de Pina, Miguel de Seixas met également en relation la devise du pélican de Jean II et la reine Eléonore. Celle-ci avait elle aussi une devise : un filet de pêche, interprété comme symbole du Royaume des Cieux[9]. On saisit alors toute la portée du filet de pêche, qui se rattache intimement à la devise du pélican et du palmier portées par le roi. Ensemble, elles forment une sorte de phrase emblématique : c’est seulement par l’imitation du Christ que le juste peut atteindre le Salut et accéder au Royaume des Cieux[10]. Finalement, le chroniqueur savait bien ce qu’il disait.

Cette complémentarité des devises du couple royal permet de comprendre la fréquence de leur représentation conjointe, surtout dans l’église de la Mère-de-Dieu, où la reine-veuve se cloîtra pour chercher elle aussi son salut personnel. Ce fut pour cette même église que la reine commanda les superbes médaillons Della Robbia qui, à l’origine, comprenaient la représentation des armoiries royales aussi bien que des devises du couple ; le tabernacle lui-même présentait un pélican, simultanément image du Christ et de l’eucharistie, bien sûr, mais aussi répétition de l’emblème du roi, déjà présent sur la façade de l’église et les parois du cloître. L’image symbolique du roi se greffait ainsi sur le lieu de la transsubstantiation divine : quelle meilleure façon d’exposer l’idée que le roi, en sa condition conjointe de corps charnel et corps mystique, se rapprochait du Christ, lui-même modèle suprême d’une telle double corporéité ?

Priscila Aquina Silva met par ailleurs en évidence les liens entre cette devise du pélican et la politique charitable et hospitalière du couple royal qui s’inscrit à l’évidence dans l’action politique des états naissants en matière de santé publique.

L’unique héritier légitime, le prince Alphonse, mourut sans descendance, le sang de Jean II ne se perpétua donc que par la voie de son bâtard Georges, duc de Coimbra et maître des ordres militaires de Saint-Jacques et d’Avis, qui prit le pélican comme cimier de ses armes et le transmit à ses descendants, les ducs d’Aveiro (Seixas).

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Notes

  1.  Rui de Pina, Crónicas, Porto: Lello & Irmão Editores, 1977, p. 933 (traduction Miguel de Seixas).
  2.  Lima, João Paulo de Abreu e, “Oficiais de Armas em Portugal nos Séculos XIV e XV”, in Genealogica & Heraldica. Lisboa 1986. Actas do 17.º Congresso Internacional das Ciências Genealógica e Heráldica, Lisboa: Instituto Português de Heráldica, 1989, p. 338.
  3.  Resende, Garcia de, op. cit., p. 177.
  4.  Resende, Garcia de, op. cit., p. XXIII.
  5.  Sur l’interprétation de ce document et de son décor voir METELO de SEIXAS M., « Art et héraldique au service de la représentation du pouvoir sous Jean II de Portugal (1481-1495) », Actes du colloque de Pise-Florence, Arme segreta, dir. M. Donato et alii, à paraître
  6.   Le pélican est accompagné par le mot « Por Tva Lei e Por Tva Grei », tel qu’il est décrit par ce même chroniqueur. Il faut remarquer que cette enluminure ne date pas du règne de Jean II, mais de celui de son successeur Manuel 1er. Par ailleurs, les couleurs du roi y sont mal représentées, ce qui a déjà été l’objet d’une explication. Cf. Seixas, Miguel Metelo de, “As armas e a empresa do rei D. João II…”, p….
  7.  Livro das Aves (édition de Maria Isabel Rebelo Gonçalves), Lisboa: Edições Colibri, 1999, p. 32.
  8.  Ibidem, p. 101 (cap. XXXIV).
  9.  Avelar H. de et Ferros L., « As Empresas dos Príncipes da Casa de Avis », in Os Descobrimentos Portugueses e a Europa do Renascimento. «O Homem e a Hora são um só». A Dinastia de Avis, Lisboa: Presidência do Conselho de Ministros, 1983, p. 227-245.
  10.  Idem, ibidem. Une explication apocryphe a plus tard été greffée sur la devise de la reine Leonor, considérée comme une allusion à la mort tragique de son fils unique, le prince Alphonse. Cette légende, imprégnée d’éléments pathétiques, connut un succès remarquable, surtout au XIXe siècle.

Bibliographie

Le pélican de Jean II

METELO de SEIXAS M., « Art et héraldique au service de la représentation du pouvoir sous Jean II de Portugal (1481- 1495) », Actes du colloque de Pise-Florence, Arme segreta, dir. M. Donato et alii, à paraître.

METELO deSeixas M., « As armas e a empresa do rei D. João II. Subsídios para o estudo da heráldica e da emblemática nas artes decorativas portuguesas »,  Mayer Godinho Mendonça I. et Correia A. P. éd., As Artes Decorativas e a Expansão Portuguesa. Imaginário e Viagem. Lisbonne, Fundação Ricardo Espírito Santo Silva / Centro Cultural e Científico de Macau / Escola Superior de Artes Decorativas, 2010, p. 46-82.

AQUINO SILVA P., « Imagens do Poder : analise do Pelicano, a emprese regià de D. Leonor et D. Joao II (Portugal-Século XV) », XIIIe encontro de Historia Anpuh-Rio Identitades, Rio , 20008. Edition électronique consultable sur internet.

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